Et si je vous parlais de mon quotidien sur la route ? En Argentine et au Chili, je n'ai jamais parcouru autant de kilomètres en si peu de temps. Et croyez-moi, un mois et demi plus tard, ça se ressent dans les mollets !



*** Frontière Brésil-Argentine le 30 janvier : "Buenas Dias ! Pasaporte por favor. De donde eres ?" ***


Je réponds au douanier que je suis française, et son sourire disparaît. Son collègue me fait comprendre que de toute évidence, il n'a toujours pas digéré la défaite de l'Argentine face à la France lors de la coupe du monde. Je lui lance un regard du genre "c'est pas de ma faute si mon Mbappé court plus vite que ton Messi", je récupère mon passeport en vitesse et je manque de renverser son bol de maté.

C'est la première fois que je traverse une frontière sans la survoler. Je passe mon sac au scanner, je me passe moi-même au scanner, puis remonte dans le bus avec une trentaine d'autres passagers. Et voilà, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je suis en Argentine. Je profite du trajet pour me remémorer quelques phrases de politesse en espagnol, pour calculer mon budget quotidien en pesos et préparer mon programme pour la capitale.



*** Métro de Buenos Aires le 31 janvier : "Hola buenas dias ! Quisiera un boleto para el centro de la ciudad por favor." ***


Arriver dans une nouvelle grande ville et m'approprier petit à petit ses rues, c'est mon moment préféré. Je jette mon sac sur le lit de l'auberge, me tartine une noisette de crème solaire sur le nez et je pars faire le tour du quartier. Combien y a-t-il de lignes de métro ? Que vendent les commerçants dans la rue ? Quelle est la place principale ? Ou se trouve le marché ? Combien coûte un menu Big Mac ? Comment s'habillent les filles pour sortir le soir ? De quoi discutent les papis en terrasse ? Ça veut dire quoi "avoir 25 ans" ici ?

Alors je commence à flâner devant la brocante du dimanche à San Telmo et les danseurs de tango de la Boca. Je respire des odeurs de barbecue à chaque coin de rue. Sur la Plaza de Mayo en face de la Casa Rosada du gouvernement, les "mères de la Place de Mai" se relaient chaque jeudi depuis 1977 pour réclamer les corps de leurs fils assassinés lors de la dictature (presque 30 000 disparus durant cette "guerre sale").

A ma gauche sur le quai du métro, un jeune homme porte un foulard vert sur son sac, ce qui signifie qu'il est pour la légalisation de l'avortement en Argentine. Et le vendredi soir à 2h du matin, heure à laquelle je rentre me coucher à Paris, les argentins commencent leur soirée dans les rues de Palermo. La nuit s'enflamme et on ne voit plus les heures passer.

Comme toute bonne capitale, Buenos Aires et ses habitants sont méprisés et critiqués par le reste du pays. Pourtant c'est une ville comme on les aime : vivante.



*** Dans les rues de Santiago le 14 Février : "Hola mi amor, quieres una flor ?" ***


Ah oui, c'est la Saint-Valentin aujourd'hui. Faut dire que j'ai beaucoup de choses en tête ce matin. Je dois regarder la dernière vidéo de Bastien, Chloé à enfin accepté de lui couper les cheveux ! Je dois appeler Charlotte pour qu'elle me raconte ses vacances en Italie, et répondre au message vocal de Louise. Ah, une poste ! Parfait, je vais pouvoir envoyer les cartes de Mamie et Papilou. Est-ce que j'ai envoyé la photo de la vue paronamique sur Santiago à papamaman ? D'ailleurs j'ai plein de nouvelles photos, je dois mettre mon blog à jour. Faut que je réserve le bus pour Valparaiso le 15 février, et répondre à la Couchsurfeuse qui a proposé de m'héberger à Mendoza. Mince ! J'ai oublié de checker mes mails ! Est-ce que l'assurance m'a répondu pour mes frais médicaux à Foz de Iguacu ? Ah, et je voulais lire cet article concernant le scandale de plagiat de Gad Elmaleh. Et mon visa pour les États-unis, quand est-ce que je m'en occupe ?

Puis cette douce odeur de poisson me ramène sur terre. C'est le marché de crustacés de Santiago, pas loin de la Plaza de Armas. J'adore les marchés. D'ailleurs, j'enchaine avec le marché de viande, de fruits, puis de fleurs. Il est 10h du matin mais les chiliens ont l'air d'avoir déjà beaucoup d'appétit ! J'arrive dans une rue plutôt douteuse et j'admire la technique des vendeurs pour remballer leur matériel en moins de 20 secondes quand la police arrive.

Pour vivre "à la chilienne", je m'installe à l'heure de la sieste (entre 14h et 17h) dans un coin d'ombre du parc pour déguster un completo pendant que mon voisin se fait cirer les chaussures en lisant son journal.



*** Arrivée à l'auberge de Valparaiso le 16 Février : "Bienvenido Lisa ! Aquí es la contraseña para el wifi, la ropa de tu cama y la mapa de la ciudad. Puedes usar la cocina hasta las diez." ***


J'admire les réceptionnistes des auberges de jeunesse qui répètent 268 fois par jour le code wifi. Le propre d'une auberge de jeunesse classique ? Un frigo qui déborde de partout, une bonne citation philosophique du genre "les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais, Oscar Wilde", des mots en toutes les langues sur les murs, 5 grammes de céréales au petit déjeuner "inclus généreusement dans le prix de la chambre", des douches bien trop douteuses pour y aller pieds nus, le mec qui doit se lever à 5h du matin mais qui est le seul à ne pas entendre son réveil, une mini-lessive de sous-vêtements en toute discrétion dans le lavabo et des soirées autour du babyfoot en écoutant de la cumbia avec un chinois, un brésilien et une allemande. Et si tu es chanceux, tu as le droit à une vue sur la ville depuis le toit de l'auberge, en l'occurrence Valparaiso, ses couleurs, son street-art, ses Ceviche, son port et... l'océan Pacifique, que j'ai admiré pour la première fois de ma vie.



*** Gare routière de Mendoza le 18 Février : "Si, hay un autobús para Tucuman a las ocho. Es un trayecto de 16 horas. Cama o semicama ? Qué asiento ?" ***


J'esquisse un sourire. Ici, 16h de bus signifie 16h de paysages Andins avec en prime un lever et un coucher de soleil magiques sur les montagnes. Alors forcément, je choisi mon "asiento" côté fenêtre.

A peine installée, mon voisin argentin engage la conversation en mi-anglais, mi-espagnol. Oui, il faut s'habituer : quand tu voyages seule, tout le monde te tape la discute. Tout le temps. Généralement, trois choses suscitent l'admiration : je suis française, mon sac ne pèse pas plus de 8 kilos et je voyage seule. Alone. Sola. Sozinha. Alors on me lance un "Mira ! Que mujer valiente !"

Mon look dans le bus : le même t-shirt tâché qu'hier et qu'avant hier, les orteils en éventail, une cheville encore un peu gonflée, pas maquillée ni épilée depuis 5 mois, la marque de mon coussin gonflable sur les joues et des miettes de muffin au Dulce de leche autour de la bouche. Vous vous demandez comment je peux me faire draguer dans cet état-la ? Moi aussi.

Un jour une jeune voyageuse m'a dit : "Quand je veux être tranquille, j'fais la gueule : pas de bonjour, pas de sourire et je réponds aux questions par oui ou par bon." Chose que je suis complètement incapable de faire, mais c'est une solution.



*** Plaza 9 de Julho de Salta le 24 Février : "I've been looking for you since 30 minutes !" ***


Je reconnais cette voix grave, évidemment. C'est Joaquin, rencontré à Buenos Aires, qui s'est gentiment proposé de me faire découvrir sa ville natale pendant quelques jours.

Après les lacs du parc national Los Alerces, les vignes et les "gauchos" de Mendoza, les champs de canne à sucre et les raviolis de lama à San Miguel de Tucuman, je découvre mes premiers cactus à Salta. Et surtout, la température baisse miraculeusement de 10 degrés, ce vent de fraîcheur est le bienvenu.

Comme tout bon argentin, Joaquin boit 2 litres de maté par jour. Ensemble on visite les églises, les musées de la ville et on se régale d'empanadas et d'amandes caramelisées.

Le dernier soir, il m'invite à dîner chez sa grand-mère. Je n'ai que de bons souvenirs des moments passés chez l'habitant, c'est incroyable ces personnes qui partagent si facilement leur quotidien et leur intimité avec des étrangers. J'ai vite réalisé que la meilleure façon de les remercier, c'est de leur cuisiner des crêpes pour le dessert : succès garanti !

Avec un petit pincement au coeur, Joaquin m'accompagne le lendemain à la gare réserver mon prochain billet de bus. Je reprends la route seule pour vibrer au carnaval de Jujuy et découvrir les montagnes colorées de Humahuarca.



*** Dimanche 3 mars, à la frontière : "Buenas Dias senora, pasaporte por favor. Bienvenido en Bolivia, Lisa" ***