Traversée de l'Iran en Septembre 1982 : Papa raconte...

Il y a 36 ans, nous partons Annie et moi en 4L faire le tour de la terre. Un seul épouvantail sur l'itinéraire à l'époque : l'Iran. "Dommage !" se disait-on en préparant le voyage, "ça doit être beau..."

Peu de temps auparavant, l'imam Khomeini, paisible à Neauphe Le Château, fait la révolution islamique, proclame la république puis déclare la guerre à l'Irak. Aurait-il lu des bouquins sur 1789 pendant son exil en France ? Le pays est déstabilisé, dangereux et exsangue au sens propre du terme. Les iraniens aperçus à l'ambassade d'Istanbul, côtoyés à Bazarghan pour la délivrance des visas, et sur la route kalachnikov au point pour les contrôles, ne sont pas les plus sympas. Alors, pour tout vous dire, pendant les 7 jours de traversée, on les a évités les iraniens. Mais on s'est dit qu'ils ne pouvaient pas être tous comme ça et que Marco Polo, tout au long de sa route de la soie iranienne, avait franchi les portes de villes superbes et été accueilli chaleureusement dans les caravanserails.

Retour en Iran, 36 ans plus tard, avec la petite. T'en penses quoi toi Lisa de ce pays ?

Voyage en Iran 2018 : Lisa raconte...

L'Iran se démarque depuis longtemps de ses voisins en terme de développement, d'éducation, de droits et de liberté, mais aujourd'hui le pays stagne et ressemble encore parfois à ce qu'il était juste après la révolution, pendant la traversée de papa et maman : crise économique, contrôle de la République Islamique par un guide suprême, haine des Etats-unis, propagande et opposition permanente entre les libéraux réformistes et les conservateurs.

A travers le statut des femmes par exemple, on remarque l'ironie de ce combat d'un siècle entre deux camps : elles ne sont pas obligées de porter le tchador mais doivent couvrir bras, jambes, formes féminines et cheveux. Elles peuvent être mariées dès l'âge de 13 ans mais aussi demander le divorce. Elles ont le droit de vote mais leur témoignage devant la justice vaut moitié moins que celui d'un homme. Elles peuvent siéger au parlement mais pas se montrer à l'extérieur avec un autre homme que leur mari ou proche parent.

Bref, le pays est divisé.

Mais moi, ce que je retiens de l'Iran, c'est sa douceur de vivre. Le chant des oiseaux. Les thés à la cannelle. Les paysages montagneux, désertiques et les sommets enneigés. Les jardins des rendez-vous secrets. Les orangers. Les anciennes cités perses. Les badgir et ruelles de Yazd. Les mosaïques des mosquées. L'appel à la prière. Le cimetière des jeunes martyrs de la guerre Iran-Irak. Les kebabs et le riz au safran. Les noms comme "Manoucheri" ou "Amirza". Les épices du bazar. Les vendeurs de tapis. Les vieilles Peugeot et les vieilles Renault. Les baklava. Le chauffeur de taxi qui s'arrête pour acheter son pain et ses oeufs. Les musées de Téhéran.

Et puis Papa. Papa qui fait le touriste. Papa qui s'arrête pour prendre une photo. Papa qui me dit "bouge pas" pour me prendre en photo. Papa qui commande du yaourt au resto. Papa qui cherche le nom de la rue. Papa qui met ses lunettes. Papa qui regarde le plan. Papa qui enlève ses lunettes. Papa qui cherche ses lunettes. Papa qui vérifie qu'il a son passeport, ses lunettes, le guide et son téléphone. Papa qui explose son forfait internet. Papa qui demande son chemin. Papa qui se fait des copains iraniens. Papa qui corrige mon anglais. Papa qui discute avec les papetiers du bazar. Papa qui regarde en l'air. Papa qui fait des jeux de mots. Papa qui compte nos derniers rials. Papa qui veut prendre un thé. Papa qui trempe ses pieds dans la mer Caspienne. Papa qui veut acheter un cadeau à maman. Papa qui dit "regarde t'chot, c'est joli comme tout". Papa qui se souvient. Papa qui est content.

Et enfin, bien entendu, les iraniens, leur sens de l'hospitalité, leur rire, leur veste en cuir, leur coupe à la John Travolta, leur moustache, leur fierté mais aussi leur désespoir, leur sens de la famille, leurs cacahuètes, leur compagnie dans le métro et dans le train, leur chaleureux "Salam, welcome to my country !" et tout ce qui fait d'eux le charme et la gentillesse incarnés.

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Quelques films à voir pour se plonger dans l'histoire (récente) de l'Iran : Argo, Taxi Téhéran, Persepolis, Taste of cherry, Le ballon blanc, Une séparation, Nous 3 ou rien, Trois visages