En Août 2018, j'avais rédigé cette "Lettre au voyage". Je ne l'ai jamais relue ni publiée, jusqu'à mon retour en Juillet 2019. J'étais curieuse de me remémorer mon état d'esprit avant le départ et de le comparer avec celui d'aujourd'hui. C'est intéressant d'en discuter autour de soi avec d'autres aventuriers, car chaque voyage et chaque retour d'expérience est différent. Certains sont faits pour revenir, d'autres pas.



*** Août 2018 ***


"Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues..."


C’est émouvant ce jour où, après avoir chuchoté tes envies de voyages depuis des années, tes mots finissent enfin par s’amplifier. Ton rêve devient ton projet. Alors tout s’accélère : annoncer le départ, économiser, se vacciner, quitter le taf, l'appart, et partir. Et s’en suivent les doutes et les angoisses. Qu’est-ce qui nous pousse à se séparer délibérément des êtres auxquels on tient le plus et de quitter son bonheur quotidien ? 


Parce que "voyager, c'est savoir ce que l'on quitte, mais pas ce que l'on cherche !" 


Je sais que je ne pars pas pour fuir la routine ou lutter contre le système. Ce n’est pas un travail d’introspection, et je ne pense pas que la vie soit forcément plus belle ailleurs. Mais ça y'est, c’est le moment d’assouvir ma curiosité sur les cultures et merveilles du monde ; de la route du Che aux musiques enivrantes du Brésil, des couleurs et saveurs de l'Inde à l’histoire captivante des Iraniens, des steppes de Mongolie aux douces cimes du Népal et des routes emblématiques américaines aux visages du transsibérien.


Aussi, pour pimenter le tout, je me suis fixée ces quelques objectifs :

1. Apprendre à surpasser mes peurs (d’insécurité, de solitude, de manque de confiance en soi) en voyageant seule.

2. Partir avec un sac à dos de 8 kilos max, pour un max de liberté.

3. Adopter la philosophie du « Miracle Morning » : me lever avant l’aube et m’accorder deux heures pour lire, faire du sport, méditer, apprendre la langue du pays ou cuisiner les produits locaux.


Il n’est pas nécessaire d’apporter à son voyage un aspect philosophique, écologique ou humanitaire pour y donner du sens. Avoir le courage de prendre une décision, de faire confiance à son instinct, de s’ouvrir aux rencontres et de s’exposer volontairement à l'inconnu, c’est déjà un bel accomplissement personnel.


Bref, laissons les réflexions et autres incertitudes existentielles de côté, j’embarque bientôt en direction de Kochi avec mon sac Valdo sur le dos, mes chaussures de trek, une musique entraînante et je vous dis SALUT !



*** Juillet 2019 ***


"Alors, c'était comment ce tour de monde ?"

On devrait bânir cette phrase. Comme si, autour d'un verre entre amis, j'allais te résumer 10 mois de voyage en solitaire de la même façon qu'on résume un week-end sur le côte basque.


Quand j'ai remis les pieds chez mes grand-parents, puis sur le trajet du bus 31 à Paris entre Gare du Nord et Guy Môquet, jusqu'au week-end en province avec les copains quelques jours plus tard, j'avais la sensation que rien n'avait changé. Les mêmes jeux télevisés, le même pharmacien au coin de la rue, les mêmes soirées. Une angoisse montait doucement en moi : "Tout ça pour revenir au point de départ ? Pour reprendre le même quotidien comme si rien ne s'était passé ?"


Alors oui, on ne va pas se mentir, le retour c'est difficile. Malgré l'euphorie de rentrer à la maison, de retrouver ses proches, son chez soi, ses toilettes propres, sa ville, les pains au chocolat et le fromage, on ne peut pas s'empêcher de se demander parfois : "Mais, qu'est-ce que je fous-là ?" et je vais vous expliquer pourquoi.

En voyage, on est en permanence dans une sorte de tourbillon d'émerveillement, d'optimisme et de liberté. Tous nos sens sont en éveil, on découvre de nouveaux endroits, on rencontre de nouvelles personnes, on dépense pour se faire plaisir. A chaque jour sa nouvelle petite victoire : trouver un endroit où dormir, manger de la street food sans tomber malade, grimper une montagne, se faire comprendre dans la langue locale, en apprendre un peu plus sur l'histoire du pays, se dépatouiller d'une situation difficile... Rien ne vous paraît insurmontable. C'est comme le chocolat, on en veut toujours plus.

De retour à la maison, cette adrénaline constante disparait. La spontaneité, la liberté, la découverte... tout s'éloigne de façon trop radicale. Vous n'avez plus de sous, pas vraiment de projets à l'horizon, où en tout cas rien d'aussi excitant que de partir autour du monde. On se remet à stresser pour des banalités et c'est le retour des obligations : vous lever à une heure fixe pour prendre les transports, aller travailler, gérer votre temps, remplir les cases d'un agenda, faire des courses, le ménage, la paperasse… alors la vie parisienne semble bien triste à côté des soirées brésiliennes.



Ça, c'était pour le "dark side" du retour. Maintenant j'aimerais revenir sur les objectifs fixés dans la première lettre :


1. Partir avec un sac à dos de moins de 8 kilos : objectif atteint. Je suis partie avec un 36L surnommé Valdo qui est devenu mon meilleur ami. Il était composé de l'essentiel et lorsqu'il me manquait quelque chose (rarement), je pouvais toujours le trouver sur place. J'ai tout de même acheté des souvenirs en route que j'envoyais par colis chez ma soeur à Paris. Je suis rentrée avec 10 kilos. Bien que je n'ai jamais été trop matérialiste, j'ai compris qu'on pouvait vivre avec très peu, très longtemps.


2. Adopter la philosophie du "Miracle Morning" : finalement, en voyageant, il n'est pas nécessaire de se lever 2 heures plus tôt pour faire toutes ces activités dont le quotidien à Paris me prive habituellement. J'ai pu lire dans les longs trajets de bus en Amérique du Sud, je n'ai jamais autant sollicité la force de mes jambes et l'agilité de mes chevilles, j'ai amélioré mon espagnol en discutant avec les locaux et j'ai su profiter du silence des montagnes de l'Annapurna et de la Cordillère des Andes pour apprendre les bases de la méditation (et cela, sans application smartphone). En revanche, je peux essayer de mettre en place cette philosophie maintenant que je suis de retour en France.


3. Affronter mes peurs en voyageant seule : objectif atteint. Pour le côté pratique, j'ai appris à vivre dans des pays aux cultures différentes, à tracer mon itinéraire étape par étape, à prendre des décisions dans l'urgence tout en gardant mon calme, j'ai appris à dire non et à être ferme, à dormir n'importe où et à observer mon environnement. J'ai donc gagné en assurance et en courage.

Du côté psychologique, j'ai appris qu'être seule est une grande liberté physique et psychique. Aujourd'hui, le silence et la solitude m'angoissent moins, au contraire je réalise à quel point il faut profiter des rares moments où tu peux être coupée du monde. J'ai appris à écouter mon instinct, à être plus patiente, et que sensibilité ne rimait pas avec faiblesse.

Je suis aussi plus sereine dans mes relations avec les autres : j'ai fait ce voyage pour moi, il n'y avait donc personne à impressionner, personne à séduire, personne à juger et personne qui ne te jugera. Je me suis entourée uniquement de gens bienveillants, ouverts d'esprit, honnêtes, simples et généreux. J'ai choisi quand je voulais être seule ou accompagnée, sans avoir à donner d'explications à quiconque. Je sais maintenant que lorsqu'on manque de confiance, c'est souvent que nous ne sommes pas entourés des bonnes personnes. Bref vous l'avez compris, je me sens mieux dans ma peau.


Pour garder le rythme, j'ai déjà entamé mes nouveaux objectifs : faire de mon appartement un vrai petit cocon, continuer les cours d'espagnol, reprendre la course, cuisiner plus souvent, réduire ma consommation en grande distribution (#eliselucetforever), me couper un peu plus de mon téléphone, et je débute mes missions au Bureau d'Accueil et d'Accompagnement des Migrants en septembre. A plus long terme, j'aimerais réfléchir à d'autres projets professionnels, et repartir de temps en temps seule sur la route ne serait-ce que pour un week-end.


Le retour m'a aussi fait réaliser que ce n'est pas un retour au point de départ, que c'était une des plus riches, plus belles et folles années de ma vie, que j'adore l'aventure, mais que mon petit confort et mes habitudes sont tout aussi précieux.


***


"Ce n'est pas l'évènement qui compte, c'est ce que l'on en fait."