"Woaw, tu pars au Brésil pour le nouvel an ? Quelle chance ! Par contre, je ne veux pas te faire peur mais... paraît que Rio est une des villes les plus dangereuses du monde. Tous mes amis s'y sont fait braquer au moins une fois, et souvent avec un flingue ! Pour eux, ta vie n'a aucune valeur alors si ça t'arrive, donne tout ce que tu as sur toi sans broncher. Surtout ne rentre pas seule le soir hein, c'est du bon sens mais je préfère quand même te le dire ! Tu sais qu'il existe une application qui te permet de localiser en temps réel les fusillades au Brésil ? Ça peut servir... Sans oublier qu'avec l'élection de Bolsenaro, la situation ne va qu'empirer. Et alors pendant le nouvel an, t'imagines avec quelle facilité un terroriste peut se faufiler dans la foule de Copacabana ? En tout cas, promets moi de faire attention à toi."


Bien que, pour être honnête, personne autour de moi n'est du genre à vouloir me décourager de partir, ces quelques phrases ont fini par m'angoisser. J'en ai presque oublié que je partais dans un des plus beaux pays du monde au littoral légendaire. Mais après tout je me suis dit "C'est naturel que l'on s'inquiète pour moi, c'est une jolie preuve d'amour, non ? Et moi, un de mes objectifs dans ce voyage, c'est aussi de prouver que le monde n'est pas si dangereux qu'on le croit !"


Arrêtons nous un instant sur cette expression : "Fais attention à toi".

C'est ce qu'on me disait aussi après les attentats du 13 Novembre 2015 à Paris. Dans ce cas, faire attention voudrait dire : ne pas sortir de chez soi, éviter les foules, les concerts, le métro, les terrasses... Alors qu'un attentat, c'est être au mauvais endroit au mauvais moment, la plupart du temps on ne peut ni le prévoir ni s'en protéger. C'est comme ça, notre génération devra vivre avec. Faire attention en voyage, c'est la même chose : tu peux avoir les meilleurs réflexes, prendre des cours de self-defense, être vigilant en permanence... ta sécurité ne dépend pas toujours de toi seul(e). Certains habitent 10 ans au Brésil sans qu'il ne leur arrive le moindre malheur, mais d'autres peuvent se faire arracher leur sac 10 minutes après leur sortie de l'aéroport.


Pour ma part, il ne m'est rien arrivé au Brésil. Chance ou prudence ? Un peu des deux. Je pense que mon éducation et mon expérience de parisienne indépendante depuis 6 ans m'ont aidé. Pourtant parfois j'ai été imprudente, mais je préfère dire que je suis restée vigilante sans sombrer dans la paranoïa.


Par exemple, je suis sortie le soir, seule, à Salvador de Bahia. Je ne pouvais pas m'empêcher de goûter aux soirées brésiliennes et aux sons des tam-tam qui raisonnaient à la fenêtre. En revanche, je suis sortie sans téléphone, je suis restée dans les rues animées et me suis autorisée une seule caipirinha avec mes quelques reals.

Ce soir là, au Negro's bar, un bassiste et un guitariste interprétaient quelques classiques brésiliens et un homme est arrivé, en rentrant de sa journée de travail avec sa glacière sous le bras. Il a commencé à danser les yeux fermés au milieu de la rue. Le temps d'une chanson, il était seul au monde.

Un autre exemple : je me suis enfuie en roadtrip avec un colombien rencontré à peine 15 jours plus tôt.

J'ai d'abord passé quelques jours avec lui en compagnie d'autres personnes pour vérifier qu'il n'avait pas le profil d'un tueur en série. Puis, j'ai surtout fait confiance à mon instinct féminin.

Pendant ces 4 jours, Gerson m'a parlé de sa vision du monde, de son passé, de ses projets et de son expérience dans un cirque au Paraguay. Grâce à lui, j'ai appris à voyager autrement, à parler espagnol et aussi la notion de "patience" qui me manque tant.


Alors dîtes moi, comment aurais-je pu me sentir en danger ? Dans un pays où les mots "complexe" et "jugement" n'existent pas ? Dans un pays où les brésiliens chantent et dansent dans la rue comme si personne ne les regardaient ? Dans un pays où tout le monde applaudit quand le soleil disparait derrière le Pão de Açucar ? Dans un pays qui m'a rappelé mon enfance aux Antilles avec ses odeurs du marché, sa chaleur tropicale, ses accras de morue, ses fleurs, ses musiques vibrantes, ses maisons coloniales, ses lézards, sa samba, sa vie sans un soupçon d'inquiétude ? Hein ?

Je n'ai vu passer ni les heures ni les jours, et c'est de cette façon que j'ai passé presque un mois là-bas au rythme d'aventures et de rencontres inoubliables.

Alors n'angoissez plus : au Brésil, la vie se déguste au grand jour !


***


"- Mon coeur craint de souffrir, dit le jeune homme à l'Alchimiste, une nuit qu'ils regardaient le ciel sans lune.

- Dis lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. Et qu'aucun coeur n'a jamais souffert alors qu'il était à la poursuite de ses rêves"

L'Alchimiste, Paulo Coelho